• Au-delà des apparences

     

    Courir après le temps

     

               Au fil de sa vie, on reste tendu dans l'instant : faire ceci, faire cela ; projeter ceci, prévoir cela ; ne pas oublier ceci, ne pas oublier cela ; ne pas être en retard au travail, aux rendez-vous ; soigner ses enfants, ses proches ; entretenir sa maison, son jardin, sa voiture.... Il y a tant de choses à faire !!

           Et quand arrivent des vacances, on reste tendu dans le "à faire" : trouver une belle résidence de vacances, un bon camping, un bon hôtel, et la région adéquate ; chercher les bons restaurants, les belles plages ou les jolis sites, essayer de "se faire plaisir" coûte que coûte ... Car durant l'année on répond au devoir, et durant les congés, on répond au plaisir !

            Alors quand vient la retraite, on songe encore plus au plaisir : que faire pour être enfin heureux ? Qu'acheter ? Où aller ? Comment gâter ses petits-enfants pour être sûr qu'ils vous aiment ? Comment garder un œil sur ses enfants qui pourtant s'éloignent, afin de pouvoir encore jouir de leur présence et s'enorgueillir de leurs succès ?...

              Mais le temps passe, et on s'aperçoit que l'on n'arrive plus si facilement à se déplacer, à profiter des belles choses ; le corps s'use et refuse de poursuivre les efforts qu'il supportait volontiers autrefois. On voudrait bénéficier de l'aide des enfants mais ils sont loin.

              Alors on les observe. On se dit : "Tiens, à leur âge, j'ai fait ça moi aussi !" On les jalouse un peu, et puis soudain on réalise : "Mais je suis exactement le même qu'à cette époque ! Dans ma tête, je suis le même qui partait crapahuter en Afrique équatoriale à l’âge de 25 ans, et même, je me sens exactement le même que ma petite-fille de 15 mois qui commence à gambader sur ses petites jambes toutes neuves..!. Je m'en souviens tout à fait ! Mais où est-ce passé tout ça ?? Où est-ce passé puisque je suis toujours identique, comme une note tenue à l'infini qui jamais ne s'éteint, alors que tout cela semble évanoui ? ... "

            Tout à coup, vos souvenirs vous apparaissent semblables à des rêves, et vous avez l'impression d'avoir joué une pièce dont tous les éléments n'étaient que purs décors, purs fantômes.

             En effet, vous êtes et avez toujours été ; vous vous sentez même être jusque dans la peau de vos enfants, de vos petits-enfants qui vous semblent recommencer la même comédie que vous avez déjà jouée, comme pour vous la faire comprendre, vous amener à mieux la saisir.

              Mais qui êtes-vous vous-même ?

            Quand vous levez un peu les yeux de ce qu'il vous reste de projets, d'activités, vous réalisez que ce ne sont que distractions, ce que le philosophe Pascal appelait "le divertissement". Vous vous échinez, vous vous fatiguez, vous n'aspirez plus qu'au repos tout en comprenant qu'il sera pour vous synonyme d'ennui mortel - sauf si vous dormez, c'est-à-dire perdez conscience. Vous ne voulez pas perdre conscience, du moins pas plus que le temps qu'il faut pour "récupérer" : vous vous passionnez pour la télé, l'ordinateur, les mots croisés ou la lecture, tout ce qui occupe l'esprit et l'empêche de sombrer.

             Mais si votre corps est déjà épuisé, un jour viendra où votre esprit ("le mental') le sera aussi ; déjà votre ouïe, votre vue vous lâchent. Vous gémissez, vous vous demandez pourquoi Dieu vous a ôté ces atouts indispensables à la survie terrestre ; mais tôt ou tard votre intellect, votre compréhension seront épuisés à leur tour et demanderont grâce, chercheront le repos.

             Alors en vous détendant pleinement, vous verrez que vous êtes, encore et toujours, le même ... même lorsque vos beaux atours physiques et mentaux vous sont ôtés. Vous vous sentez inchangé, depuis votre premier cri de nouveau-né jusqu'au seuil de l'affaissement de votre corps.

             Tout ceci n'était donc que rêves ? Faux semblants ? Papillons que l'on cherche à saisir ? Nuages sur le ciel ?

             Vos enfants vous survivent : ils sont votre vivante image. Vous les voyez s'étioler comme vous avec le temps. Puis après eux les petits, génération après génération... Tout cela passe comme les pages d'un livre que l'on tourne. Vos souvenirs aussi s'envolent comme des feuilles balayées par le vent, sans aucune consistance ; vos émotions, vos joies, vos souffrances s'effacent avec eux, ont parfois même été effacées depuis longtemps alors qu'elles vous avaient tant marqué : votre corps émotionnel lui aussi peu à peu se délite, vous montrant qu'il appartenait lui aussi au domaine du décor, de l'aérien, du périssable.

             Mais vous êtes toujours là, présent comme le roc, enveloppé dans votre décor de l'instant : le lieu où vous vivez, les personnes qui vous entourent. Tout vous définit, définit la nature mouvante mais bien réelle de votre présence.

            Qui êtes-vous, sinon celui qui perçoit, celui qui expérimente, celui qui ressent, celui qui avance, fièrement, les yeux ouverts, vers l'inconnu grandiose auquel il appartient et qui l'appelle de plus en plus intimement, de plus en plus distinctement, de plus en plus affectueusement ?

              Quand le soir s'illumine, la beauté des choses vous fait chavirer, vous qui ultimement, ressentez qu'il ne peut rien y avoir de plus réel de ce que vous êtes en cet instant : l'unique témoin d'un Miracle... Ce miracle de l'Être devenu matière pour Se contempler et S'expérimenter Soi-même.

     

     

    Au-delà des apparences

     

     

           

    « LibertéCosmos et Amour »

  • Commentaires

    1
    Vendredi 2 Août à 20:41
    Je suis scotchée par ton texte. J'ai pris beaucoup d'intérêt à le lire et j'ai vu défilé les années. Par moment, je sens que j'ai changé. Pas tant sur cet etrtsue je suis. Mais sur ma façon d'être et de ressentir. Je me sens et vous vieillir et l'accepte parce que c'est notre nature. Quand je pense à cet Autre, je reste toute humble devant son mystère. Bises et merci Porte toi bien
    2
    Vendredi 2 Août à 20:42
    Oh là là La correction automatique. ...pas tant sur cet être que je suis mais...
    3
    Samedi 3 Août à 11:20

    Que c'est beau ! Que c'est juste !

    Comme Andrée je suis scotchée...

    Ce que tu nous écris si bien, j'aurais pu l'écrire aussi...

    Tes mots sont les miens. Mes mots seraient les tiens...

    Ton ressenti est aussi le mien...

    Que rajouter de plus ? Rien ! Tout est dit !

    MERCI !!

    Et tu as choisi une magnifique image.

    Bisous ma chère Martine et bon WE

    4
    Mardi 6 Août à 19:15
    daniel

    Tu viens d'écrire un très beau texte que je partage totalement. Je ressens les mêmes choses. Ma vie se transforme profondément et mes besoins  sont beaucoup moins nombreux. Je dois accepter de vieillir et accepter les différences qui grandissent avec mes enfants et petits enfants.

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