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    La Passeuse de Mots

     

             Depuis quelques mois j'avais ce livre à la maison, offert par ma fille aînée, attendant que je me décide à l'ouvrir. Et maintenant voici bien un mois que je l'ai commencé, car il compte 733 pages et je ne lui consacre qu'un quart d'heure chaque soir avant de m'endormir !

           Ma fille savait que j'aimais ce type d'aventures fantastico-épiques, dans la suite du Seigneur des Anneaux ou de Harry Potter, mais je craignais que celui-ci ne fût d'un niveau inférieur, ou ne fût plus de mon goût avec mon avancée en âge.

               Cependant j'ai dû vite reconnaître que la qualité littéraire, tout comme l'immense créativité dans les décors et les situations imaginaires, m'ont séduite. Si le livre est si long, c'est que les auteurs (puisque apparemment ils sont deux, Jennifer et Alric Twice, français vivant dans l'Hérault et composant à quatre mains) savent faire durer les conversations, les épisodes, à un point tel que l'on croit être entré dans ce temps et vivre l'aventure minute après minute, dans la peau et dans la tête des personnages.

            Si l'héroïne, passionnée de lecture mais vivant dans un monde non industrialisé où sa mère aimante est pâtissière du roi, nous séduit d'emblée avec son amour des arbres, de la nuit et son penchant pour le 3e des jeunes princes de sang - le mal aimé -, malheureusement on bascule trop vite dans une terrible violence - une révolte contre la royauté - avec des descriptions telles que l'horreur et l'incompréhension s'installent.

            L'on discerne cependant progressivement que cette impression est voulue puisqu'elle est ce que ressent l'héroïne elle-même, car ses aventures toujours plus cruelles seront à chaque fois l'occasion de faire naître en elle un nouveau pouvoir, par l'intermédiaire d'un "Mot" qui se présente à son esprit, surgi de la situation et destiné à l'en protéger.

            Sans bien comprendre le terme de "Passeuse",  j'ai vite remarqué une certaine ressemblance entre ces Mots, qu'elle qualifie de Mantras, et les formules magiques de Harry Potter. En effet ils ne sont pas français, mais émanent d'une sorte de bas-latin : "Protego", "Luna", "Gemelli"...

             Par contre on peut suivre à travers le parcours de la jeune fille une sorte d'initiation (ce qui bien sûr est assez classique), dans laquelle j'ai apprécié le principe qu'elle soit brutalement coupée de son passé et de ses racines, puis prise en charge par un "maître" mystérieux et d'une prodigieuse habileté prêt à tout pour la protéger, mais exigeant d'elle silence et abnégation (ne pas poser de questions, travailler sans relâche quelle que soit la fatigue, vivre à la dure...) et l'entraînant dans une existence dépouillée vers l'inconnu le plus inhospitalier.

              J'avoue avoir sauté quelques chapitres au centre du livre quand les héros (car le groupe s'était étoffé d'un troisième compagnon) se sont trouvés bloqués sous les montagnes dans un repaire de vampires lubriques et assoiffés de sang, dont ils ne purent sortir que par les égouts, ce qui fut assorti de descriptions atroces et interminables.

             Mais la fin est toute de douce, nos amis parvenant grâce à la puissance d'Arya, l'héroïne, jusqu'à une sorte d'Atlantide engloutie dans une immense poche sous-marine. Là ils reprennent des forces, se ressourcent, avant de nouvelles aventures prévues dans les volumes à venir...

              Si l'on en croit les paroles de la vieille gardienne aveugle de ce monde, il s'agit d'une sorte de sanctuaire de paix qui se trouve en chacun de nous : notre cœur ?

          Hélas, on prévoit déjà le cinquième tome de la saga ! Je crois donc que je vais m'arrêter là. Mais il est certain que ce type d'ouvrage est une aubaine pour les éditeurs et libraires, comme le roman-fleuve du XIXe siècle : accrocher le lecteur avec un héros lancé dans une trame d'aventures rocambolesques se déroulant à l'infini est très vendeur !

     


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              Quand on lit Christian Bobin, on a envie de tout retenir. Chaque phrase, chaque proposition, chaque mot est une pépite... Je connais quelqu'un qui a couvert, tant son enthousiasme était grand, tous ses livres de traits de crayon - soulignements, flèches, accolades, doigts pointés - pour pouvoir y revenir aussi souvent que possible - ce qui finalement me semble dommageable, en couvrant de graffitis ce texte si aérien et en l'empêchant ainsi de se dissoudre dans le ciel comme c'est son but.

              Comme tous les grands artistes Bobin est pour nous toujours vivant, à travers son œuvre qui nous transporte et nous réconforte.

               J'ai eu souvent l'impulsion de le citer ici ; et puis je me suis abstenue en considérant que l'on ne pouvait pas sortir les paragraphes de leur contexte, ni copier un chapitre entier non plus.

               Je noterai cependant aujourd'hui celui-ci, pour sa beauté comme pour sa haute valeur spirituelle.

    «  Une rose est un temple dont les murailles circulaires sont plus légères que l'air. Son parfum est un voile qui protège, au centre du temple, quelque chose qu'on ne sait bien nommer : le vide, l'amour, la perte - ou notre visage reconnu, rendu à nous-même. »

    Christian Bobin, Le Murmure, NRF p. 54

     
               Il nous invite par là à plonger, comme le Petit Prince, dans notre cœur profond, un peu comme il est décrit dans l'Évangile de Philippe restitué par Jean-Yves Leloup - mais en moins abstrait :

    « Dans cet Espace-Temple tu deviens toutes choses
        et tu ne te vois plus toi-même,
        puis dans ce Tout Autre tu deviens toutes choses
        et tu ne cesses pas d'être toi-même. »

    Jean-Yves Leloup, L'Évangile de Philippe Planche 110, Spiritualités Vivantes p.101.


     Le coeur de la Rose
    (Photo du net)

     

     


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     "Ma vie était un fusil chargé"

    (Cliquez sur l'image pour accéder au site du diffuseur)

     

              Et voici que je viens de terminer la découverte du nouveau livre de Marie Gillet (ici son blog), qui vraiment me plaît beaucoup.

              Elle y présente une fillette benjamine non désirée d'une famille d'intellectuels masculins machistes, confrontée à l'orgueil d'un père qui la qualifie, tout comme sa mère, d'incapable et d'à jamais illettrée.

               Pour gagner l'amour ou du moins l'estime de celui-ci, elle refoule la merveilleuse créativité enfantine qui dormait en elle et s'acharne à lire de mieux en mieux, de plus en plus, jusqu'à obliger sa maîtresse d'école à sortir un dictionnaire pour l'occuper lorsqu'elle avait fini son travail longtemps avant les autres. Mais rien n'y fait. Et peu à peu, devant le rejet ostensible du père et la fuite craintive de la mère, elle se retrouve seule face aux livres au sujet desquels elle ne peut échanger avec personne.

               Alors, quelque chose se produit... Quelque chose de la nature du miracle...

           Mais Marie évoque plutôt une "Société Secrète des Livres" qui se réunirait régulièrement pour envoyer des Chevaliers (ou plus exactement, des "livres-chevaliers") porter secours aux lecteurs et lectrices gravement menacés.

               Ceux-ci interviennent subrepticement, tombant de façon inopinée aux pieds de la personne pour qu'elle les ramasse, réapparaissant contre toute attente au pied de son lit, surgissant au coin d'une étagère de librairie... jusqu'à ce que, stupéfiée, elle les lise et relise jusqu'à y découvrir des perches tendues pour s'évader, des portes ouvertes là où il y avait des murs, et enfin un ciel miraculeux pour s'y envoler.

              C'est ainsi qu'au fil du temps, Marie en découvre cinq qui réussissent à la sauver de l'enfermement dramatique dans lequel elle se débattait, à lui faire changer de vie et et à lui rendre confiance en elle.

            
      Voici un passage de l'avant-dernier chapitre :


    « Quand un livre-chevalier est envoyé auprès d'un lecteur, c'est pour une raison bien précise que ledit lecteur ignore dans un premier temps puis perçoit de plus en plus précisément jusqu'à se rendre compte qu'il est temps pour lui de poser des actes au risque de disparaître. Mais le livre-chevalier n'agit pas seul : il s'appuie sur d'autres livres pour préparer le terrain ou enfoncer le clou ainsi que sur d'autres membres de son équipe de livres-chevaliers. En effet, quand un lecteur est en perdition comme je l'ai été et que la Société Secrète des Livres le prend en charge, c'est toute une équipe qui est constituée. Comme il y a un temps pour tout, il y a un livre pour chacun et un livre pour chaque partie de chacun. »

    Ma Vie était un Fusil chargé, p.153.

     

           Le ton alerte, souvent humoristique et traduisant un réel détachement par rapport aux épreuves rencontrées, la finesse de l'imagination qui enveloppe l'acte de lire de tout un monde de rêve, tout ceci ne peut nous laisser indifférents ; et pour tout dire, c'est l'immense sensibilité de Marie et son sens aigu de la communication et du partage, qui font de cet ouvrage une merveilleuse rencontre comme s'il s'agissait, notre auteure le dit elle-même, d'un nouvel ami entré dans notre maison.

     

     

     


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          Si  le livre de Marie Gillet est paru le 29 février, c'est assez exceptionnel ; mais le recevoir le jour de la fête des femmes, ce n'est pas mal non plus !

     

    Ma vie était un fusil chargé
    (L'encadrement marron a été ajouté par moi
    pour que le livre ne se noie pas dans la page,
    car en fait il est entièrement blanc).



          
      En effet elle y évoque le souvenir de sa mère aujourd'hui décédée, qui avait été bafouée et méprisée toute sa vie par son mari ...


           Marie dédicacera son livre demain dans une librairie proche de sa résidence, la librairie "M'as-tu-lu" à La Seyne-sur-mer (Var).

     

     

     


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    Cliché Amazon

     

                 En attendant le livre de Marie qui ne m'est pas encore parvenu, je me suis procuré le dernier écrit de Christian Bobin, qui est un véritable trésor comme on pouvait s'y attendre.

              Il débute sur une écoute musicale, ce que l'on ne saisit pas de suite, surtout qu'il s'agit du silence qui suit l'écoute, car on ne découvre le pianiste Sokolov et ses doigts de fée - ce qui n'est pas pour me déplaire - qu'en bas de page.

               Alors Bobin se répand en rêveries plus rayonnantes les unes que les autres, nous berçant de sa parole ciselée, de son écriture magique, de sa pensée étincelante.

               En voici un passage rempli de profondeur et de poésie.


     « Nous passons notre vie à attendre quelque chose de mieux que notre vie. Nous passons, nous passons. Nous suivons le long bec de notre pensée en espérant qu'elle nous mènera loin d'ici.

      Les yeux d'un homme qui pense se plissent dans l'extrémité de l'étang du regard, là où bruissent les roseaux d'un songe.

       La vie nous longe.

       Nos rêves informulés ne nous quittent jamais. »

    (éd. Gallimard p.22)

     

     

                 Voici encore de quoi rêver longtemps.

     

     


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